Moïse Maurice Behar
né le 3 avril 1906

 

Mon père est né à Constantinople le 3 avril 1906. Il arriva à Paris à l’âge de six ans, accompagné de ses parents et de ses six frères et sœurs. Après avoir terminé ses études et effectué brillamment son service militaire, il entama sa carrière de tailleur sur mesure.

En 1935, il rencontra Ziffra Cyelgienicka (née en Lituanie) qui devint sa femme en 1936. De cette union naquirent deux enfants : Alain, mon frère, né le 7 mars 1942 à Nice, et moi, Rebecca Janine, née le 29 avril 1936 à Paris (XIVe).

Le souvenir que j’ai de mon père est celui d’un musicien jouant de plusieurs instruments et aimant tout particulièrement peindre.

Pendant la guerre d’Espagne, mon père qui connaissait la valeur de la liberté, n’hésita pas à rejoindre, comme engagé volontaire, les troupes qui combattaient contre le franquisme.

Maurice Behar en 1942 à Nice

Dans les années 1940-1941, il descendit sur Nice (en zone libre). Quant à ma mère et moi, nous partîmes à Lons-le-Saunier pour passer en Suisse, avec la sœur jumelle de Maman. Malheureusement, le passeur nous avait pris notre argent et ne s’était pas présenté au rendez-vous. Nous sommes restées cachées pendant deux mois à Lyon, chez des amis. Puis nous avons rejoint Nice, où mon père avait trouvé un appartement sur la Promenade des Anglais, donnant sur un jardin plein de mimosas. La vie à Nice pendant cette période paraissait paradisiaque car, si la ville était occupée, c’était par les soldats italiens qui nous protégeaient. J’ai su plus tard que, grâce à eux, nous étions prévenus à temps qu’il fallait déménager, quand il y avait un danger. Pendant cette courte période de calme relatif, je fréquentais l’école. Mon père entra dans la Résistance. Peu de temps après, ma mère, craignant pour ma sécurité, me cacha dans un couvent. Après la venue des Allemands dans cette institution catholique, qui recherchaient les enfants juifs, ma mère me reprit.

Ensuite, d’après mes souvenirs, nous nous sommes cachés dans l’arrière-pays niçois, mais après plusieurs dénonciations, nous avons été contraints de déménager plusieurs fois. Notre dernière cachette fut à Colomars. Mon père, toujours résistant, n’était pas souvent là.

En novembre 1943, sur dénonciation, mon père fut arrêté par la Gestapo et transféré à la prison de Nice. J’ai su, quelques jours après son arrestation, qu’il avait été dénoncé par une femme, faisant partie d’un réseau de résistants. Elle aurait vendu une vingtaine de personnes, moyennant une somme d’argent, transaction qu’elle aurait faite avec la Gestapo. Ma mère m’a dit qu’à la Libération, cette femme avait été condamnée à mort. Certains anciens résistants, que j’ai rencontrés en 1995 à Nice, m’ont dit qu’elle avait été à la prison de Rennes ; d’autres, qu’elle aurait été fusillée (?)

Après l’arrestation de mon père, fin 1943, ma mère, prise de panique, emmena mon frère et moi nous cacher dans des rochers pendant trois jours et trois nuits. Ce furent trois horribles jours, car mon frère et moi avions la coqueluche et ma mère se trouvait démunie de tout pour nous soigner.

Quant à cette dernière année de guerre, ma mère, mon frère et moi partîmes nous cacher à Saint-Sylvestre, chez ma tante et mon oncle, dans un appartement prêté par une famille italienne qui nous protégeait. C’est grâce à eux, qui nous prévenaient des rafles, que nous avons eu la vie sauve. Les rares fois où ma mère sortait pour essayer d’obtenir un peu d’alimentation, je vivais des moments de terreur, car je savais qu’on ramassait des Juifs dans Nice et je craignais pour ma mère qui avait un fort accent. Combien de fois, lors de ses absences, si elle n’était pas rentrée avant la tombée de la nuit, je pleurais, j’embrassais ses vêtements, car je me disais que, comme mon père, elle avait été arrêtée. C’étaient des moments horribles… Maintenant, à la tombée de la nuit, j’éprouve toujours cette terrible angoisse, et je comprends le travail d’Hitler : il était au-delà de la déportation, puisqu’il a brisé aussi notre génération. Pourtant, avec tout ce qu’il m’en coûte, j’ai compris qu’il faut parler et garder la mémoire.

Pendant ce temps, mon père réussit à faire parvenir à ma mère plusieurs billets disant de « ne pas s’inquiéter et que tout allait bientôt rentrer dans l’ordre ». Malheureusement, le dernier message que ma mère reçut fut celui dans lequel mon père lui annonçait son départ pour Drancy. Il y arriva le 24 mars 1944.

Mais je tiens à souligner que cette dernière année de guerre fut terrible, car nous vivions constamment dans la peur de nous faire arrêter. Nous étions obligés de ne pas sortir et de vivre avec les volets clos. De plus, les Italiens qui nous logeaient étaient tailleurs, et ils habillaient la Gestapo. Comme les séances d’essayages se déroulaient deux fois par semaine, ma mère et ma tante devaient bâillonner les enfants pour éviter tout soupçon.

La guerre finie, ma mère apprit que mon père était porté disparu. Mais à ce moment-là, elle ignorait ce qui avait pu advenir de lui. Plusieurs années après, nous apprîmes par le « Mémorial » de Serge Klarsfeld que mon père faisait partie du convoi 73. Est-il mort à Kaunas ou à Tallinn ? Je ne le saurai sûrement jamais… Telle est la question angoissante que je ne cesse de me poser !

Aujourd’hui, j’ai eu la chance d’avoir eu quatre enfants : Corinne, 41 ans, qui vit à Marseille ; Véronique, 39 ans, mariée à Nicola, un Italien, qui ont trois enfants : les jumelles Mélina et Jessica, onze ans, et Emmanuel, six ans, vivant à Metz, près de moi ; Marc, 36 ans, qui vit à Paris et Michaël, 23 ans.

Je tiens à saluer le dévouement dont a fait preuve la famille Grenard, en nous trouvant très souvent des endroits où nous cacher, ainsi que la profonde implication des sœurs du couvent niçois. Je souhaite remercier mon mari, Marcel Maraschek, qui m’a beaucoup soutenue pendant toutes ces années de recherches.

Ma mère s’est éteinte en 1996.

Janine Rébecca Maraschek
sa fille

 

Charlotte Ziffra Cyelgienicka dans les années 30

 

Maurice Behar avant la guerre, jouant de la guitare

 

Jeannine Rébecca Marascheck, fille de Maurice Behar

 

Maurice Behar - Certificat de bonne conduite

 

 

Fiche du carnet de fouille

 

Lettre du Secrétariat d'État aux Anciens Combattants - 4 octobre 1999

 

Acte de déçès erroné, établi d'après la déclaration d'un témoin

(trois Moïse Behar et deux Maurice Behar ont été déportés à Auschwitz - NDLR)

 

Maurice Behar et son épouse Szifra Charlotte en 1938

 

Maurice Behar à Nice

 

Maurice Behar à Colomars
devant la dernière maison où nous étions cachés

 

Michaël, fils de Jeannine Rébecca Behar
devant la maison de Colomars, en 1995,
au même endroit que son grand-père en 1943.

 

Véronique, fille de Jeannine Behar, née en 1961

 

Corinne, fille de Jeannine Rébecca Behar, née en 1958, avec son neveu et ses nièces

 

Marc, né en 1963, fils de Jeannine Rébecca Behar