Kalme Chimisz

né le 15 janvier 1906 à Varsovie

 

Mon père, Kalme Chimisz, que l'on appelait aussi Karol, est né le 15 janvier 1906 à Varsovie. Il était de nationalité polonaise.

Pendant la guerre 1939-1940, il était engagé volontaire dans l'infanterie, dans la légion étrangère. Blessé à Laon, il fut réformé et renvoyé dans ses foyers.

Il a été arrêté une première fois à Pithiviers et il en a réchappé en raison de blessures au tibia droit. Il s'est ensuite caché, mais il a été pris dans la dernière rafle de mai 1944. C'est en voyant le mur de Roglit que j'ai appris son départ dans le convoi n° 73, ainsi que celui de ma mère, dans le convoi n° 12.

C'est à la mémoire de mon père et de ma mère que j'écris ces quelques lignes, afin de ne rien oublier, et en essayant de nous rappeler ce qu'ils ont enduré dans les camps, tandis que nous-mêmes, leurs filles, nous étions cachées, avant de partir, plus tard, dans les maisons d'enfants.

Je vais essayer de raconter une partie de notre vie d'enfants de déportés. Pourquoi tant de déchirements et de souffrance, pour la seule raison que nous étions juifs ?

Venant de leur Pologne natale, mes parents sont arrivés en France où ils avaient de la famille et des amis, se sentant ainsi moins seuls. Mes parents se sont mariés en France, car ils étaient mariés religieusement, et c'est en France que nous sommes nées, ma sœur Georgette et moi. La première langue que nous avons apprise fut le yiddish. Je suis née à Paris (12e) en 1931, et ma sœur Georgette est née à Paris (4e) en 1937. Nous sommes de nationalité française, tandis que nos parents sont restés polonais.

Mon père travaillait dans la confection et ma mère s'occupait de nous. J'allais à l'école maternelle où, je pense, j'ai appris le français. Nous étions une famille unie. Nous demeurions 7 rue des Deux Ponts, à Paris (4e).

En face de chez nous se trouvait un immeuble HLM qui était occupé par des familles juives. Il fut vidé de tous ses occupants pendant la rafle de juillet 1942.

Ma mère, Sarah Chimisz, est née à Zelechov (Pologne). Elle a été arrêtée à la maison, par deux gendarmes français, pendant la grande rafle du 16 juillet 1942. Envoyée à Drancy, elle a été déportée à Auschwitz par le convoi n° 12, le 29 juillet 1942. Ma sœur et moi étant de nationalité française, notre père nous ayant fait naturaliser à notre naissance, les policiers n'avaient pas l'ordre de nous arrêter.

Pendant la guerre, notre nom de famille a été changé : ma sœur était devenue Georgette Chemise, et moi Renée Chemise (au lieu de Rachel). On nous a baptisées et j'ai fait ma première communion catholique. C'était nécessaire pour sauver notre vie.

Sur cette photo, qui date de 1939, ce sont mon oncle et ma tante, près de mes parents, qui sont venus nous rendre visite depuis la Pologne, via la Russie. Je ne sais s'ils sont arrivés à destination, au retour.

Toute notre famille, en France et en Pologne, a été exterminée.

Après la déportation de ma mère, le 27 juillet 1942, nous avons été envoyées en zone libre. Nous avons été dans une première famille, à Cosnes, dans la Nièvre, où nous sommes restées jusqu'en 1944. C'est là que mon père est venu nous rendre visite, en avril 1944, pendant les vacances de Pâques, chez la nourrice qui nous cachait. Ensuite, nous n'avons plus rien su de lui.

Nous étions cachées dans tous les sens de ce mot : pas d'école, pas de sorties. Mon père envoyait colis et argent, mais nous n'en avons jamais rien su. Dans cette famille, il y avait une jeune femme avec un enfant, qui voulait connaître Paris. En décembre 1943, elle nous a emmenées, ma sœur et moi, et nous sommes revenues à Paris pour fêter Noël. Nous avons vécu quelques jours dans la maison de mes parents, avec mon père. Un soir, nous sommes allées dans la maison d'en face. Il y avait un patronage où nous allions, avant la guerre. Il y eut une rafle, et notre voisine, la crémière, est venue nous chercher pour nous emmener passer la nuit chez elle. Prenant de grands risques, elle nous a ramenées à la campagne, chez la mère de notre nourrice. Ensuite, nous avons été placées chez une autre nourrice, à Myennes (Nièvre), où nous sommes restées de 1944 à 1945. À la Libération, une assistante sociale est venue nous chercher et nous a ramenées à Paris. Nous avons vécu alors dans les maisons d'enfants de l'U.J.R.E., 14 rue de Paradis.

Comme nous n'étions pas du même âge, ma sœur et moi, nous avons été séparées. Ma sœur est allée à Andrésy (banlieue nord-ouest de Paris) tandis que j'étais envoyée à Montreuil (banlieue Est de Paris). Ce fut notre plus grand déchirement, car je n'avais pas d'argent pour pouvoir lui rendre visite. Elle m'appelait "maman".

En 1948 ou 1949, la maison d'enfants dans laquelle ma sœur et moi étions hébergées nous emmena visiter les camps d'Auschwitz et de Birkenau. Ce n'était pas encore un musée. Tout y était pêle-mêle. Nous y sommes allés par une journée aussi glacée que nous-mêmes, et le souvenir reste pénible. Nous marchions sur les ossements, les cheveux jetés en tas, des lunettes, des chaussures... Nous avons vu les chambres à gaz... Que dire des valises où quelques-uns ont retrouvé les noms de leur famille. Nous avons vu aussi le ghetto de Varsovie.

Nous sommes restées dans les maisons d'enfants, mais ceci est une autre histoire. Nous avons terminé nos études, puis nous avons travaillé. Mais à l'âge de dix-huit ou dix-neuf ans, nous devions quitter la maison. Nous ne connaissions rien de la vie. Quelques jeunes filles et moi avons loué une petite chambre, à plusieurs. Mais d'autres difficultés survinrent. Notre vie était très difficile.

Jusqu'au jour où j'ai rencontré mon mari, Henri, français, originaire de Tunis. J'avais un peu plus de vingt et un ans. Trois mois plus tard, je me suis mariée dans mon milieu, et nous avons fondé un foyer heureux. Nous avons eu cinq enfants, nés à Paris, et nous sommes venus en Israël en 1969. Nos enfants ont fait leurs études, nous avons célébré les bar-mitsvas et les mariages, et nous avons vingt-deux petits-enfants.

Ma sœur a continué sa vie en maison d'enfants. Sa vie a été plus difficile. Elle a fait un mariage mixte, a divorcé et a dû élever seule ses cinq enfants. Elle a quatre petits-enfants.

Notre vie a été complètement bouleversée par la disparition de nos parents, mais la génération continue.

Rachel Belhassen

 

Kalme Chimisz