Henri Boccara

né le 21 février 1928

 

Henri, mon cousin germain, est né à Paris le 21 février 1928, dans une famille qui comptait quatre autres enfants : Dario, Simone, André et Jean. Il est le benjamin et le préféré de ses parents, Jacques Boccara et Gilberte Mendès Ossona, qui sont nés tous les deux à Tunis. La famille Boccara est française depuis le décret Crémieux de 1870. Jacques a fait la guerre 1914-1918 comme ambulancier.

Jacques a des magasins de tapis d’Orient et d’antiquités à Tunis, Paris, Strasbourg et Vichy. Jusqu’à la guerre, il a participé à toutes les expositions nationales et inter-nationales.

Notre père était souvent absent, se souvient Jean. C’est notre oncle maternel, Maurice Ossona, qui veillait sur nous. À Paris, nous habitions 39 rue Singer. J’avais quatre ans de plus qu’Henri. Nous étions toujours ensemble. Nous nous battions souvent quand nous étions gamins. Nous allions à l’école communale rue Jacques Offenbach. On passait nos vacances à Vichy ou dans les villes ou les pays où notre père exposait, comme Anvers, Bruxelles en 1935, Paris en 1937 et Lille en 1939. Maman était très belle, élégante, raffinée, cultivée. Dario, l’aîné, l’influençait beaucoup. On l’appelait « le Conseiller ». En 1934, Maman a eu un cancer de la gorge. Elle est retournée vivre à Tunis, chez sa mère, avec Henri et moi. Elle est morte le 14 août 1935. Henri a fait face avec courage. Nous avons vécu quelques semaines chez notre tante Rachel, mais nous étions si insupportables qu’elle nous a rendus à notre père. Nous avons rejoint Papa à Strasbourg en octobre. Nous habitions 7 rue du Marché, et nous allions au lycée Saint Jean. Notre sœur Simone, qui était douce et affectueuse, essayait de remplacer un peu Maman. Puis, la guerre a éclaté. Nous avons été évacués et nous sommes arrivés le 1er septembre 1939 chez notre oncle Élie, à Lyon, 19 place Tolozan.

Gilberte Ossona, épouse de Jacques Boccara
Vichy - vers 1927

 

L’arrivée de mes cousins a été un événement dans ma vie. Ils ont apporté une ambiance de gaieté, de jeunesse et beaucoup de livres. Dario était aux Beaux-Arts. André à la Faculté de Droit. Jean et Henri allaient au lycée Ampère. J’étais l’aînée de mes deux frères, Robert et Dario. Jusqu’alors, je vivais tranquillement dans ma chambre. Henri avait mon âge : onze ans et demi. Il était beau, intelligent, brillant. Je le dépassais d’une tête. Il me taquinait sans cesse, il me faisait sortir de mes gonds. J’étais timide, renfermée ; il m’a obligée à me défendre, il m’a appris à me battre. Mes cousins ont vécu chez nous plus d’une année, jusqu’au jour où André, poussé par Dario, a refusé d’accompagner Maman au marché. Simone est restée avec nous.

Gilberte Boccara, 37 ans (1934)

 

 

Nous nous sommes installés 13 rue Dubois, dans un petit appartement au-dessus du dépôt de l’Anoma, écrit Dario. Henri était un gentil garçon, très sensible, patient et peu coléreux. Il était conciliant, large d’esprit, plaisant et toujours souriant, avec un fond de sérieux pour son jeune âge. Il paraissait très mûr. Il avait déjà une réputation de séducteur en herbe. On le surnommait « le Brésilien » à cause de son teint mat, de ses beaux yeux bruns pleins de chaleur et de douceur. Il avait l’air un peu mélancolique et romantique. Est-ce qu’il pressentait le dur destin de sa courte vie, brisée à jamais par des barbares ? Il y avait en lui, en germe, de merveilleuses qualités qui n’auraient fait que s’affirmer en grandissant.

Henri dépasse maintenant ses frères. Beau, élégant, séduisant, il pense plus aux filles qu’aux études. À l’inquiétude de son père, il se promène rue de la République et fréquente des cafés où il y a souvent des rafles. En fait, il profite des derniers moments de liberté, des derniers petits plaisirs que lui laisse encore la vie.

Annecy - 1942
De gauche à droite : Henri, Jean, André, Dario

Après l’arrestation de mon père, le 20 novembre 1943, mon oncle Jacques, sa compagne, Mme Bloch, et Simone s’installent dans un petit appartement, rue Boissac. Les rafles s’intensifiant, la famille quitte Lyon et se cache à Tassin-la-Demi-Lune, 233 chemin des Hirondelles. Le matin du 2 mai 1944, Jean se lève tôt et secoue Henri pour aller au cours Anstet. Henri préfère dormir. À huit heures, la Gestapo de Charbonnières arrive et emmène Jacques, Mme Bloch, Simone et Henri. Dario et André, qui couchent dans une chambre meublée, rue des Alouettes, échappent au filet nazi.

Simone Boccara - 18 ans
1939

Jacques, Simone et Henri sont internés à la prison Montluc. Mme Bloch, non juive, est libérée. Le 11 mai 1944, Jacques et ses enfants sont transférés à Drancy. Henri est déporté le 15 mai 1944 par le convoi 73. Jacques et Simone partent par le convoi 74. Jacques et gazé à son arrivée à Auschwitz. Simone mourra du typhus à Bergen-Belsen en février 1945.

Après la guerre, un survivant du convoi 73 est venu dire à mes frères qu’Henri avait été libéré par les Russes à Riga, en Lettonie, dans un état d’épuisement total. Il n’avait pas dix-sept ans.

Mon père, Élie Boccara, a été libéré par les Russes à Oppeln, mais dans un état d’épuisement total, comme Henri.

Dario vit à Mulhouse. Il a eu quatre enfants : Jacques, Aubry, Olivia-Simone et Dario, qui lui ont donné dix petits-enfants.

André a eu une fille, Koukina, et un garçon, Henry. Il est mort à l’âge de cinquante-neuf ans, en 1981.

Jean vit à Paris. De ses trois unions, il a eu deux filles, Gilberte et Sarah, et deux garçons, Pascal et Jacques. Il a trois petits-enfants.

Mireille Boccara

 

 

Jacques Boccara, 55 ans (1938)

 


Décrets Crémieux : du nom d'Adolphe Crémieux, avocat et homme politique français (1796-1880). Il fut ministre de la Justice en 1848 et en 1870. Les décrets Crémieux (24 octobre 1870) conférèrent la qualité de citoyens français aux Juifs d'Algérie. (Petit Larousse) (N.D.L.R.)